PAUL SCHRADER, CRITIQUE DE JONATHAN

PAUL SCHRADER, CRITIQUE DE JONATHAN






-Petit retour sur une poignée de films du légendaire mais confidentiel Paul Schrader, d’abord avec "Étrange Séduction" : Paul Schrader à la réalisation, Harold Pinter au scénario adaptant un roman de Ian McEwan (dont les écrits ont donné des films comme "Reviens-moi", "Le Bon Fils" ou "Sur la plage de Chesil"), Angelo Badalamenti à la musique, Georgio Armani aux costumes, Bill Pankow au montage, Dante Spinotti à la photo, et au casting les couples Rupert Everett / Natasha Richardson et Christopher Walken / Helen Mirren, dans le cadre idyllique de Venise...Avec des noms aussi prestigieux, il aurait été difficile que "Étrange Séduction" ne soit pas une éclatante réussite. C’en est une, mais pourtant le film, qui n’a pas eu le succès escompté à sa sortie en 1991 malgré une présentation dans de prestigieux festivals (Cannes, Venise, Locarno), semble avoir été un peu oublié dans la filmographie de Schrader.



En séjour à Venise pour discuter sur l’avenir de leur relation, un couple d'anglais (Everett/Richardson) fait la rencontre d'un riche couple local (Walken/Mirren) à première vue très amical et accueillant mais qui va autant les inquiéter que les fasciner...Tout ici est en harmonie pour créer une atmosphère envoûtante et mystérieuse qu'on croirait parfumée au filtre d'amour. Le roman ne précisait pas le lieu de l’histoire (en Italie mais pas quelle ville), le choix de Venise pour le film est donc très judicieux. Réaliste, nébuleuse et vénéneuse tout en ayant presque l'air de sortir d'un rêve, aussi paradisiaque et onirique qu’elle peut être cauchemardesque et oppressante, Venise n'a jamais été filmée ainsi et s’impose comme souvent, tant elle est particulière et unique, comme un personnage à part entière, sur la musique orientale de Badalamenti, dans une lumière splendide de Spinotti...Les décors somptueux (les extérieurs naturels mais aussi les intérieurs en studio) permettent d'éviter le piège du théâtre filmé (le risque avec Harold Pinter au scénario) et sont si ancrés dans le passé qu'il n'y a pas vraiment de marqueurs de temps, ce qui fait aussi que le film a bien vieilli et semble comme ses personnages hors du temps.



Rupert Everett (dandy au jeu volontairement détaché) et Natasha Richardson (actrice au charme fou disparue trop tôt) s'y perdent et tombent entre les griffes d'un Christopher Walken ultra-charismatique dans un rôle de type séduisant et accueillant en costume blanc (de chez Armani, l’acteur avouera même avoir gardé le costume après le tournage) mais dont le vrai visage est moins sympathique. Walken fait notamment un de ses grands monologues walkenien (« Mon père avait une moustache… »), récit sur lequel s’ouvre et se clôture le film avec autant de mystère à la fin qu’au début. A noter que la fin du roman est différente : le couple machiavélique disparait à la fin du roman alors qu’à la fin du film il est arrêté par la police et interrogé, ce qui permet de faire l'éclairage sur le désarroi du personnage de Mirren et sur la folie du personnage de Walken.



Tout semble donc de plus en plus bizarre, ambigu, malaisant, presque surnaturel alors que rien ne se passe à l'écran si ce n'est des étreintes, des déambulations dans la ville et des discussions à sens unique (les dialogues de Walken, qui ne répond jamais aux questions qu'on lui pose, sont vraiment troublants et confirment une folie enfouie prête à exploser). Une angoisse grandit sans réelle raison apparente. Impossible de savoir où mène l'intrigue jusqu'à la fin. "Étrange Séduction" tient plus du drame psychologique que du thriller sulfureux vendu à l'époque (cf. l’affiche américaine). C’est un film assez différent de ce que Schrader a l’habitude de faire, dans un écrin plus luxueux et avec plus de moyens, sur un scénario qui n’est d’ailleurs pas de lui, même s’il traite une fois encore de la folie, d’une descente aux enfers, d’une errance tant existentielle que géographique (chez Schrader le lieu de l’action devient toujours sables mouvants), d’un personnage bloqué dans le passé (disons plutôt bloqué dans le présent parce que bloqué dans le passé)…Les thématiques de Pinter se mêlent à celles de Schrader et ça donne un film passionnant et enivrant…



-Titre français complément con et racoleur pour "The Walker", "Escort Boy" est un des films confidentiels de Paul Schrader, à une époque où plus personne n'allait voit ses films : son "L’Exorciste : Dominion" est littéralement retourné par Renny Harlin et sa version ne verra le jour que bien plus tard en DVD, "Escort Boy" et "Adam Resurrected" sortent directement et tardivement en DVD en France (comme dans d’autres pays, ou alors dans un circuit de salles très restreint), "The Canyons" a le droit à une sortie en salles tardive chez nous mais Lindsay Lohan descend le film car elle n’est pas satisfaite du résultat (preuve qu’elle n’avait probablement rien compris au scénario et qu’elle ne connaissait pas l’œuvre de Schrader), "La Sentinelle" est remonté par la production ce pourquoi Schrader et Cage refusent d’en assurer la promotion et le film sort également en DTV, tout comme la collaboration suivante entre Cage et Schrader, "Dog Eat Dog"…Paul Schrader ne retrouve les faveurs des critiques et d’un certain public qu’à partir de son très beau "Sur le chemin de la Rédemption" (même si lui aussi sort directement en DVD dans la plupart des pays dont la France). Souvent bien mal distribués, les films de Schrader de ces années 2000 trouvaient difficilement aussi bien des financements qu'un public, malgré des castings prestigieux. Ainsi "Escot Boy"/"The Walker" a beau afficher les noms de Woody Harrelson, Kristin Scott Thomas, Lauren Bacall, Lily Tomlin, Ned Beatty ou Willem Dafoe, il sortira pourtant directement en DVD. C'est bien dommage car le film est encore une fois passionnant.



Très convaincant dans un rôle pas évident, Woody Harrelson y joue un gigolo gay aussi distingué que cynique qui tient compagnie a des dames de la haute société (journalistes, épouses de politiciens...), récolte et colporte les ragots du milieu. Soignant son apparence (quitte à porter une perruque), il est toléré par ces hommes de pouvoir car il est lui-même le fils d’un respectable politicien. Lorsqu'il est soupçonné d'un meurtre, il va voir son petit monde confortable s'écrouler et va devoir enquêter lui-même. Mensonges, rumeurs, trahisons, et alors que l'étau se resserre sur lui, le personnage se rend compte avec cette affaire de la superficialité de ce milieu et de sa propre existence, et va devoir choisir entre être déloyale ou être malhonnête.



Paul Schrader étant également scénariste ici, les dialogues sont brillants et accrocheurs (oui ça blablate beaucoup mais du blabla captivant et souvent critique) et le scénario est 100% schraderien : errance existentielle, atmosphère mélancolique, ambiguïté morale, cynisme omniprésent, incommunicabilité, descente aux enfers, évocation d'une guerre américaine passée où actuelle (ici l’Irak, le film datant de 2007), description d'un microcosme, tableau désenchanté et amer de l'Amérique...Tout y est, évoquant même un peu "The Card Counter" avant l'heure (les bavardages entre Woody et les dames autour de la table sont presque filmées comme un jeu, d'ailleurs ils jouent aux cartes). Le personnage fait écho à tous les précédents anti-héros (déchus, déçus, mélancoliques) de Paul Schrader, tous suivent la même dérive mais dans un contexte à chaque fois différent. Schrader opte pour Washington comme théâtre de son cinéma, ville parfaite pour qu’il y déploie toute son ironie politique et sa verve subversive contre le gouvernement, même si le cinéaste se défend d’avoir voulu faire un film politique (et en effet ce n’est pas le sujet principal).



"The Walker" se laisse aller à un étrange rythme qui envoûte, d'autant plus que la bande-son est superbe (mention à la chanson Which Way to Turn de Bryan Ferry) et la réalisation particulièrement soignée (encore une belle photographie). Le dénouement, qui semble expédié à coups de fondus au noir, est un brin décevant mais la fin est très belle, à la fois sereine et désabusée (toujours une résilience des personnages schraderiens, qui soit acceptent ce qu’ils sont et le monde dans lequel ils vivent, soit s’y refusent et mettent fin à leur vie).



Woody Harrelson est formidable, d'abord dans la caricature puis le masque se fissure et il se révèle très touchant. L’acteur sera pourtant déçu de sa propre prestation, au point de refuser de participer à la promotion du film (décidément, Schrader n’a pas de chance). Peut-être était-il vexé de ne pas avoir été le premier choix de Schrader, qui voulait initialement Kevin Kline dans le rôle et qui avouera avoir eu du mal à diriger Harrelson. Steve Martin a également été pressenti pour le rôle et avait même commencé à travailler son personnage avec le grand Gore Vidal.



-Réalisé deux ans avant sa sortie en France et se trainant une réputation désastreuse (bide commercial et critique, promo sabordée, sortie en catimini...), autant que celle de son actrice principale alors personna non grata à Hollywood (d’où sa présence ici), "The Canyons" est pourtant franchement intéressant. La rencontre entre Paul Schrader, Bret Easton Ellis (ici scénariste) et la star déchue Lindsay Lohan donne forcément quelque chose de peu conventionnel à l’écran. "The Canyons", c’est Paul Schrader qui filme du Bret Easton Ellis dans un Los Angeles chic et ennuyeux. Plutôt amusant de voir Schrader, réputé pour être avant tout un grand scénariste (pour Sydney Pollack, Martin Scorsese, Peter Weir ou Brian De Palma), laisser la place de scénariste à un auteur important comme Bret Easton Ellis ("American Psycho", "Lunar Park", "Les Lois de l'attraction") et se contenter de mettre en scène le script, qui reste évidemment proche de son univers, comme c’était déjà le cas avec Harold Pinter sur "Étrange Séduction".



Dans la forme, c’est du pur Schrader : esthétique crue un peu fauchée (c’est une toute petite production), photo soignée, atmosphère eighties (sur bande-son électro envoutante), mise en scène sèche et épurée, décors urbains froids et déshumanisés…Dans le fond, c’est bien du Bret Easton Ellis, avec ses trentenaires friqués qui s’ennuient profondément et se manipulent jusqu’à sombrer dans le vice, le crime et le fait divers sordide. Le tout se déroulant dans le milieu du cinéma, dont on ne voit pas grand-chose. L’association Schrader + Ellis fait forcément dans le cynisme méchant. A vrai dire, ça ressemble un peu à du Abel Ferrara et à du William Friedkin.



C’est certes très bavard et pas toujours bien joué (l’acteur principal Nolan Gerard Funk est très mauvais), mais il y a en sourdine une réflexion particulièrement bien sentie sur ce que devient l’industrie du cinéma. S’ouvrant sur des façades de cinémas abandonnés (superbe générique de début), "The Canyons" insinue que le cinéma meurt car il n’y a plus de passion chez ceux qui le font, plus de passion, plus de discours, plus de fond. Sans passion, plus de cinéma. C'est d'autant plus pertinent de la part de quelqu'un comme Paul Schrader. En filigrane, c’est le cinéma qui est assassiné par les protagonistes de "The Canyons". La ville d’Hollywood y est décrite comme morte et ses habitants ne sont plus que des fantômes. Le fait que les dialogues sonnent faux et que les personnages semblent très froids et désincarnés, presque comme des machines (difficile d'avoir de l'empathie pour eux), accentue finalement le propos du film, qui verse d'ailleurs volontairement dans la parodie (forcément méchante) du mélo hollywoodien et de la sitcom américaine.



Avec ce thriller érotique sulfureux, genre qu’il avait déjà plus ou moins abordé dans "American Gigolo", "La Féline" ou "Étrange Séduction", Paul Schrader en profite aussi pour traiter à nouveau le sujet du voyeurisme sordide, des pulsions sexuelles, de l'addiction destructrice et de la débauche, Lindsay Lohan et James Deen se livrant à des orgies en tous genres, l’occasion pour eux de se dénuder dans quelques séquences gentiment hot. D’ailleurs il s’agit là de deux excellentes idées de casting : Lindsay Lohan parfaitement exploitée par un Schrader qui se fout ouvertement de sa gueule (le bonhomme ne loupe d’ailleurs jamais une occasion de la tacler lorsqu'il est interrogé, elle qui a d’ailleurs refusé d’assurer la promotion du film aux États-Unis), et James Deen, star du X et sosie de James Franco, et dont le rôle fait ici écho à ses personnages de tueurs/violeurs sadiques dans les pornos féminins qui ont fait sa notoriété (la scène du meurtre est un clin d’œil évident). Le couple fonctionne bien, les deux sont délicieusement pervers et judicieusement employés, là où les autres acteurs sont assez mauvais. A noter un petit rôle de psy pour Gus Van Sant.



L'atmosphère est donc assez séduisante et le propos suffisamment intéressant pour passer outre les défauts de ce "The Canyons" à la fois sincère et racoleur sur la contre-culture américaine et contre le système hollywoodien. Il pouvait difficilement en être autrement d'un film de Paul Schrader écrit par Bret Easton Ellis, deux électrons libres et deux icônes marginales, rebelles voire même punk qui dépeignent une Amérique autodestructrice.



-Enfin, "The Card Counter" marque le retour de Paul Schrader dans les salles obscures en même temps qu’un retour aux critiques enthousiastes. Le cinéaste applique ici ses thèmes de prédilection à Oscar Isaac, qui a là une sacrée classe dans ce rôle de mystérieux joueur de cartes qui sort d’une lourde peine de prison pour les actes de tortures qu'il aurait commis lorsqu'il était soldat à Guantanamo. De retour dans le game, il retrouve par hasard la trace de son ancien supérieur (Willem Dafoe), responsable de son calvaire, et rencontre un jeune paumé (Tye Sheridan) rongé par une soif de vengeance ainsi qu'une joueuse reconvertie (Tiffany Haddish) qui va l'embarquer dans un tournoi de cartes. Prenant pour toile de fond le scandale d’Abou Ghraib, Schrader construit un pur film noir à l'américaine, sur une ambiance musicale planante (entre retrowave, folk et plages synthé à la Angelo Badalamenti, les morceaux de Robert Levon Been sont l’âme du film) pendant que l’anti-héros solitaire sillonne les casinos sans réel but, pas même celui de gagner beaucoup d'argent. Schrader renoue avec une idée de répétition qui traverse toute son œuvre dés "Taxi Driver" et son Travis Bickle qui tourne en rond (tant géographiquement que mentalement).



On a parfois l'impression d'être devant, là encore, du Abel Ferrara (surtout avec Willem Dafoe dans les parages), ou même devant du David Lynch mais c'est bien du pur Paul Schrader ici, dans un écrin élégant et une mise en scène réfléchie (quel superbe dernier plan, dont on entrevoit d'ailleurs les prémices dans une scène de "The Walker") incluant quelques effets de style percutants (les flashbacks en fish-eye dans la prison). Martin Scorsese est crédité ici en producteur exécutif, de quoi se rappeler aussi les nombreux points communs entre les deux cinéastes, qui ne se sont pas trouvés par hasard il y a 46 ans pour "Taxi Driver". Le cinéma de Paul Schrader, c’est un peu du Scorsese mais en minimaliste, dégraissé de tout artifice, de tout sens de spectacle, ce pourquoi les films de Schrader sont beaucoup plus discrets et moins vus que ceux de Scorsese.



Paul Schrader a l’audace d'aborder le sujet Guantanamo non pas du point de vue d'un prisonnier mais de celui d'un des tortionnaires, sans pour autant justifier leurs actes (cf. le puissant monologue du personnage) et sans virer dans la bonne morale et la démagogie comme dans "The Guard" avec Kristen Stewart. Le tout avec une envoûtante et séduisante minutie à l'image de celle du personnage principal, un gars réglé comme du papier à musique mais pas à l'abri d'un dérapage (une routine brisée est la trame de quasiment tous les films du cinéaste). Toujours prompt à montrer la face plus sombre de l'Amérique, à évoquer les dégâts derrière les fausses victoires, Schrader fait mine de terminer sur un happy-end hollywoodien avant de tout envoyer chier avec une fin magnifique qui lui ressemble.



Le rôle de Tye Sheridan devait initialement être campé par Shia Labeouf mais celui-ci refusa pour un autre film et c’est Nicolas Cage (héros de deux films de Schrader) qui conseilla Tye Sheridan (son partenaire sur "Joe") au réalisateur. Fidèle à ce dernier, Willem Dafoe tient un rôle court mais marquant, tandis que Tiffany Haddish, actrice comique, est ici crédible en contre-emploi. Minéral et élégant, loin des productions Disney dans lesquelles il cachetonne, Oscar Isaac impressionne tant par son calme que par ses brefs accès de violence (cf. sa technique d’intimidation face à Tye Sheridan). Il fait honneur à l’œuvre fascinante de Paul Schrader, dont la filmographie regorge de pépites à (re)découvrir et à réévaluer, et qui sont disponibles chez JM Vidéo.






 



Publié le 05 juillet 2022 Facebook Twitter

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